Le paradoxe du conte c’est
qu’il montre ce que nous ne voyons pas et que souvent il conclue par la
citation la plus célèbre du monde, un des mensonges les plus grossiers et les
plus indécents que je connaisse : « Ils se marièrent, vécurent
heureux toute leur vie et – comble de la mascarade – eurent beaucoup
d’enfants ».
Le metteur en
scène
Lorenzo Fioroni, un homme qui a un talent certain, a tordu le cou au récit de
ce « Turandot ». Quel dommage qu’il n’ait pas oser mettre le mot
« fin »après la mort de Liù, au moment où cesse la musique de Puccini
pour être suivi par un ramassis des thèmes – composés par son élève Alfano -
déjà explorer largement au I, au II et au début du III inachevé ! Ce III
inachevé est le sombre miroir de la brillance, de la lumière, des fastes du I
et du II où ce prince inconnu, pris par je ne sais quelle folie
« tombe » - du verbe tomber - amoureux d’un glaçon, une grosse bonne
femme hideuse et puante qui depuis plus de 20 000 ans est vierge et refuse tous
les zizis. Normal : son aïeule, il y a plus de 200 000 ans s’est faite
violée par une brute sans délicatesse et elle a décidée de la venger en faisant
trancher la tête à tous les princes qui tenterait de prendre sa main et tout le
reste, puisque aucun d’entre eux n’est capable de résoudre les trois énigmes
imposées pour être monsieur Turandot. Fioroni a intelligemment traduit ce que
Puccini n’aurait pas oser penser : le prince inconnu – on saura en
dernière seconde qu’il se nomme Calaf - n’est qu’un intriguant qui veut le pouvoir
absolu et qui n’a trouver que ce moyen peu ragoutant, épouser son double,
dictateur intraitable qui domine les peuples. L’esclave Liù est sans doute le
personnage principal, car elle incarne, la sagesse, la justice, la morale et
l’amour sous toutes ses formes. Timur aussi, mais aveugle trop fatigué pour
prendre part à la redirection illusoire du monde des humains. Fioroni a donné à
ce spectacle grandiose vie et terreur avec une efficacité rare et une écriture
d’un relief saisissant.
Catherine Foster (Turandot), probablement souffrante – je
n’ai pas bien compris l’annonce faite en allemand – s’est réservée pour ses
aigus et s’en est très bien tirée. Ievgen Orlov (Timur) a été absolument
superbe avec une voix pleine et une grande simplicité. Un nom à retenir. Camen
Chanev (Calaf) fut un ténor sans exubérance, respectueux de la partition, avec
une voix claire, bien placée et toute en nuances. Son « Nessun
dorma… » fut comme l’aurait voulu Toscani : respectueux de Puccini,
sans effet et totalement intégrer dans le texte. On est loin de la trahison –
devenue à la mode – de Pavarotti ! Enfin, le sommet de la distribution, le
superbe voix sans faille et touchante de Liù, incarnée par Elena Tsallagova.
Une grande dame qui m’a paru bien être au delà des super-vedettes
d’aujourd’hui.
Si l’on ajoute des chœurs d’une inégalable beauté, d’une
puissance explosive, un orchestre magnifique aux sonorités chatoyantes,
debussystes, wagnériennes et chambristes, le tout dirigé par une chef –
Alexander Verdernikov – qui avait la partition dans la tête et qui a su obtenir
les exigences d’un Toscanini avec la fluidité quasi improvisée d’un Kleiber, je
peux dire que le Deutche Oper Berlin est le théâtre qui m’aura donné le plus de
bonheur avec l’opéra de Lyon. Si ma santé – aie ! – me le permet, j’espère
très vite y retourner…
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